vendredi 15 février 2013

La Nuit (Philippe Druillet)


Là, nous abordons une partie qui va poser un peu problème. Ce livre étant pour moi ce qu'on peut appeler une sorte de coup de cœur, c'est très dur d'en parler objectivement. Je vais donc essayer d'en faire néanmoins la critique autant que possible. Ce qui d'ailleurs ne sera pas très dur. Pourtant, qu'est-ce que cette BD est belle ! Une œuvre comme ça, on en trouve pas deux fois dans une vie. Alors partons ensemble dans La Nuit de Philippe Druillet, celle qui commença pour lui à Ivry en 1976, lors d'un tragique événement.


Résumé en trois mots : Violence, science-fiction et Space Opéra

Je crois que je suis tombé sur cette BD complètement par hasard sur le site BDthèque, et j'ai remarqué que c'était du Druillet. Au début je n'ai pas pensé grand chose, remarquant juste que la couverture avait un petit je-ne-sais-quoi qui m'attirait. Ensuite j'ai cliqué sur l'onglet "Résumé". Là j'ai lu l'introduction que Druillet à rédigé à l'intérieur de l'ouvrage. A cet instant, je me suis certifié que je lirais la BD. Peu de temps après je me suis rendu à Illzach pour le festival de BDciné, et je me suis rendu dans les BD d'occasion. Et que ne trouve-je pas ? Cette BD. Je l'achète immédiatement, sachant qu'on la trouve plutôt difficilement (Druillet est apparemment plutôt rare en librairie) et je le prend dans mon sac. Arrivé à la maison je la dévore en même temps que plein d'autres production que j'ai acheté ce jour-là et je la trouve superbe, remarquable, touchant un point sensible. Je la relis après, et décide de lui attribuer la note maximum sur le site. Je n'y touche plus beaucoup ensuite, mais je la garde en mémoire, et je la relis encore de temps à autre.

Cette BD, c'est très particulier. Déjà, elle s'ouvre sur une introduction qui m'a laissé sans voix. Je crois bien que je n'ai plus jamais lu une introduction à la hauteur de celle-ci, que ce soit dans un livre ou dans une BD. Je vous la posterais tout à la fin de la critique afin que vous puissiez vous faire une idée. Mais avant cela, voyons déjà de quoi cette BD parle. Ce qui ne va franchement pas être simple.

Voici la femme de Druillet, Nicole
Pour faire court, Druillet à écrit cette BD très vite, publiée en un an, après la mort de sa femme, décédée d'un cancer en 1975. Druillet a exorcisé sa peine et sa douleur dans cette BD. Du coup, les émotions sont à fleur de peau et j'ai trouvé que toutes passaient sans aucune difficulté entre la BD et le lecteur.
Le dessin de Druillet est très particulier, et Gotlib le parodiait assez cruellement dans son dernier tome des Rubriques-à-brac. Druillet fait des dessins que vous pouvez regarder à la loupe. C'est incroyable, mais les détails sont vraiment pointu, avec des arrières plans riches, des couleurs flashy qui rappellent un trip sous LSD, et un coup de crayon très singulier qui lui est bien propre. Je vous laisse pour cela admire la galerie que j'ai mis dans l'article, afin de vous donner une idée.


L'histoire de La Nuit de Druillet ne peut pas être comprise sans son contexte, que je vous ai dit juste avant.
Et en fait, toute l'histoire en elle même est très obscure. Nous suivons les péripéties d'un groupe de personnes qui s'apparentent à des junkies dans une ville post-apocalyptique, ceux-ci s'appelant Les lions, dirigés par Heintz, jeune leader. Ils sont en lutte contre des hommes en noir appelés les crânes, et sont aussi adeptes de machines futuriste (une moto volante notamment). Ils doivent se réfugier sous terre suite à des intempéries curieuses, font face à d'autres gangs, et recherchent quelque chose qu'ils appellent La dope et qui se trouve au dépôt bleu. Nous n'en saurons jamais vraiment plus : qu'est-ce que le dépôt bleu, la dope, les crânes ? Pourquoi devoir prendre de la dope, pourquoi ces luttes ? Pourquoi l'aube est-elle mortelle ? Pourquoi tout ce monde qui ne peut survivre tout seul ?

 En fait la BD est complètement métaphorique. De ce que je pense, tout est une image d'un corps qui se meurt, et du combat interne entre le corps et les cellules cancéreuses. J'avoue ne pas avoir saisi exactement qui est quoi, mais je pense que les crânes sont le cancer, les groupes sont des cellules du corps (ce qui explique d'ailleurs la scène où l'une explose quand l'autre la touche), la ville est le corps, et le dépôt bleu ... Je ne sais pas. En fait, la BD donne, selon moi, le combat qu'a menée sa femme avant de mourir, comme si le corps était dépecé et qu'on observait l'intérieur. Ce sentiment est renforcé par la fin, même si là encore, tout ne me semble pas très clair. Cependant, des passages semblent évident, et l'incrustation de photos par Druillet renforce franchement ce sentiment. L'ode à la mort dont la BD se trouve souvent qualifié est assez justifié à mon sens. Elle rayonne, cette mort, dans toute les pages, et la survie est une question de chaque instant.

Comme souligné, le dessin est superbe. mais en plus, la composition des cases est vraiment incroyable. Je parlais au début de tripe sous LSD, et bien c'est exactement ça. Des planches en grand format qui vous en mettent vraiment plein la vue dans tout les sens, ça pète le feu de partout, l’œil est sollicité partout, les détails accumulés sont incroyable. Et pourtant, rien n'est laissé au hasard. Plein de petites choses sont pensées sans qu'on les aperçoive, excepté lors de la cinquantième relecture. Et parfois, des pages vont carrément être en double page, mais vous demandant d'inverser le sens du livre. C'est vraiment curieux au beau milieu de la BD, mais c'est remarquable de force, et poignant.

Car oui, le récit est très poignant. Les personnages sont justes de brutes épaisses qui luttent tout le temps dans un monde sauvage et brutal, mais c'est également un personnage principal qui se pose des questions. Il se demande le sens de tout ça, il a peur, il est dans une impasse. Et la course finale est sublime, sur des pages éclatantes, la découverte du dépôt bleu, la façon de mettre en scène. Et que dire de la danse sur Brown Sugar, c'est sublime de vie. Car si c'est une ode à la mort, la BD respire la vie, qui se bat tout le temps, jusqu'au bout, jusqu'au moment où l'espoir est vaincu, mais qui reste jusqu’à la toute fin et disparait avec tout le reste. Une véritable ode à la vie également.



Au final, cette œuvre de science-fiction est très surprenante, surtout qu'elle ne se classe pas uniquement là dedans. C'est une BD emplie d'émotions également, très prenante, qui extériorise la mort d'un être cher, et qui peut nous faire comprendre cette douleur tout autant qu'un récit intimiste. C'est également une œuvre graphique remarquable, qui nous offre tant de détails qu'on en fait jamais totalement le tour. Songez que cette BD est sortie en à peine un an et contemplez ensuite chaque cases, chaque planche. Druillet nous livre une BD d'une force et d'une forme toutes deux grandes et belle. La réedition de 2000 est d'ailleurs sublime, avec des pages d'une taille appréciable. Je ne saurais que trop vous conseiller de la lire, sans forcément l'acheter, pour avoir une idée de ce que peut être une grande BD sur la mort. Une belle BD également. Une BD qui marque.




La fameuse introduction du livre, afin que vous puissiez vous faire une idée de ce que c'est :



A Nicole, ma femme, mon amie…
Et à la mort qui est venue.
Quelques mots, pour mon époque qui est moche, et je suis gentil !
… à l’année 1975, l’année de la femme qui a tué la mienne et tant d’autres avec elle…
…à la médecine pourvoyeuse de la mort, la médecine des mecs, ma médecine du fric, celle de Curie et d’ailleurs. CANCER, mal terrible, plus terrible encore entre leurs mains car on en meurt, STATISTIQUEMENT ! c’est la formule. OUI ! Je vous accuse, bouchers stupides, CONS à la blouse blanche et au verbe haut, jongleurs de vies qui vous prenez pour Dieu, alors que l’on vous demande d’être des hommes et de nous traiter comme tels !
Connards assermentés vers qui l’on va avec confiance, c’est à en pleurer !

 … à ce monde que nous n’avons pas fait et qui nous assassine. O mes aînés, je vous HAIS !
… à la mort que l’on nous cache ici, en « OCCIDENT », parce qu’elle fait peur, parce qu’elle fait réfléchir, parce qu’elle n’est pas rentable ; sauf pour certains.
Société d’immortels vous puez la charogne !
… à sa bague, que je porte à mon doigt, à notre amour toujours présent, bien qu’elle s’en soit allée, elle qui ne voulait pas.
…à la patience, aujourd’hui durement apprise.
…à toi lecteur, que j’emmerde avec ces maigres mots, mais si tu aimes nos images, car nous sommes deux dedans, hier et demain, alors tourne la page le reste te concerne aussi, cadavre latent.
…eh bien, à la patience encore
et au temps
et à la révolte !
Siècle des « LUMIÈRES » si nous voulons vivre mieux, apprenons enfin la mort, moi qui l’ai tenue dans mes bras j’en tremble encore…
Tous hurlons ensemble
Et battons-nous !
…mais après tout, sommes-nous vraiment d’ici ? alors attendons l’instant de la sublime aventure…
Cadavres futurs, tenez-vous prêts et attachez vos ceintures !
…j’apprends à aimer la mort….. j’ai du goût.

Philippe Druillet
Livry, 1976

2 commentaires:

  1. Bonjour
    pour vous dire que j'aime "oui" mais je reste perpléxe
    qu'ont dite vous?

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  2. Bonjour,

    Oui, effectivement, ça laisse perplexe, complètement. J'en suis à la quinzième lecture environ et je suis toujours dubitatif sur les interprétations. C'est compliqué de dire qu'il n'y en a qu'une seule, et que je la trouverais.
    Mais à la quinzième lecture elle me touche toujours autant, et je vois là une marque d'une grande BD pour moi.

    Tu en penses quoi toi ?

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