lundi 11 mars 2013

Preview n° 2

Le feu à la roulotte




La roulotte avança doucement, chariot grinçant dans les rues modernes de la ville. Celle-ci était totalement éteinte, les écrans clignotants derrières les volets fermés. Rien ne remuait dans les rues, et pourtant Alfred menait la roulotte au pas doucement, cherchant à faire le moins de bruit possible. Il avait beau savoir que c'était toujours simple, qu'en refermant simplement les pages il ne craindrait plus rien, il ne pouvait s'empêcher de trembler un peu et s'attendait presque à voir le Limier bondir d'un coin de rue, arme suprème contre ceux qui défiaient les lois comme lui. Et pourtant, il ne faisait rien de mal, avançant doucement avec sa roulotte remplie de livres.
Il passa à un coin de rues et passa la tête dans la grande avenue qu'il croisait. La route était déserte, mais il savait bien que ce n’était qu'une façade. Rien ne laissait dire que quelqu'un passerait lorsqu'il traverserait, mais les véhicules à plus de 100 à l'heure pouvaient débouler n'importe quand, les gens fous au volant. Respirant un grand coup, tendant l'oreille pour s'assurer que rien n'était audible, Alfred traversa l'avenue en courant, tirant derrière lui l'âne qui était contrarié de devoir à présent courir. En arrivant sur le trottoir opposé, Alfred laissa échapper un soupir, et se glissa doucement dans l'ombre d'une ruelle, sans lâcher le licou de l'âne qui reprit sont pas tranquille. Il resta un instant dans l'ombre, recherchant son souffle, lorsque la sirène retentit. Une longue plainte, lugubre et annonciatrice de malheur. Les pompiers étaient appelés. Un nouveau feu allait commencer. Reprenant sa marche, Alfred tenta de suivre la direction du bruit, sans savoir où aller. Perdu dans le labyrinthe des rues, il vit le camion rouge des pompiers passer en trombe devant lui. Il laissa la roulotte dans la ruelle peu éclairée et sortit en courant, filant dans la direction du camion. Lorsqu'il arriva, essoufflé, ce fut pour ne voir qu'un gigantesque brasier, la maison partant en flammes, tandis que les pompiers encadraient une femme d'âge mur qui pleurait doucement. Elle fut embarquée, et les pompiers rangèrent le matériel sur la salamandre. Les rares passants qui avaient assistés au spectacles se dispersèrent et repartirent chez eux. La rue fut bien vite à nouveau vide. Seule une jeune fille restait là, regardant les flammes d'un regard curieux. Alfred s'avança.

"Bonsoir jeune fille.
-Bonsoir monsieur. Vous avez remarqué comme le feu éclaire la rue ? C'est une curieuse lumière, qui fait autant d'ombre qu'elle éclaire."

Alfred ne dit rien mais la scruta attentivement. Elle sentit le regard lourd et se tourna vers lui.

"Enchantée, je suis Clarisse. Et vous, qui êtes vous ?
-Alfred, enchanté également. Clarisse McClellan je suppose ?
-Oui, répondit simplement la fille sans se soucier plus avant du fait qu'il connaissait son nom.

Elle regarda à nouveau les flammes avant de reprendre la parole.

"C'est curieux. Je me demande souvent comment c'était lorsque l'on imprimait les livres qu'aujourd'hui on brule.
-Oh, c'était différent, mais les gens semblaient les mêmes. Ils ne faisaient pas de cas de la culture, restant cloitrés devant leurs écrans.
-Vous avez connu cette époque ? Mais vous n'êtes pourtant pas très vieux.
-Non, mais je l'ai tout de même vue. Et j'ai toujours espéré que je ne verrais jamais celle-ci."

Elle ne dit rien et regarda le feu qui mourrait lentement, la maison étant totalement effondrée sur sa base. Alfred regarda encore Clarisse, qui se détourna finalement et repartit dans l'allée d'une démarche lente. Il resta encore un moment en place puis partit rejoindre la roulotte. Lorsqu'il arriva dans l'allée, il eut la sensation qu'une pierre lui tombait dans l'estomac. Des gens avaient ouvert la porte, et se tenaient devant, tandis que la sirène retentissait à nouveau dans le lointain. Les pompiers avaient été prévenus. Ils allaient bruler la roulotte. Courant à nouveau, pestant sur cette dénonciation absurde qu'ils avaient fait et qui l'empêcherait à présent d'atteindre Montag, Alfred se rua sur la caravane. Les personnes rassemblées murmurèrent sur son passage, tandis qu'il rentrait en courant dans l'habitacle, distinguant les livres qui avaient été chamboulés complètement. Retenant un juron, il rechercha celui qu'il avait ouvert pour venir ici. Il était sous la pile formée par les livres qu'ils avaient jetés violemment des étagères. Il l'avait en main lorsque l'équipe des pompiers et la salamandre se dressèrent dans l'allée. Parmi eux, une tête que Alfred cru reconnaitre. Criant par dessus le bruit, il lança :

"Montag !"

Le pompier le dévisagea avec un regard surpris en déroulant le tuyau d'essence, et Alfred eu un pincement au cœur en songeant qu'il ne pourrait pas lui parler, plus jamais. Fermant le livre, il mit fin à ce cauchemar.
Revenu dans la roulotte, les étagères en place, Alfred pleura doucement. Il n'avait pu sauver aucun livre et n'avait pu voir personne.

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