Entre deux galères, je trouve toujours le temps de lire un petit livre de derrière les fagots, et je me suis attardé un peu sur ce livre d'un véritable génie que j'adore, dans presque tout ce qu'il a fait et que j'ai eu la chance de découvrir jusqu'ici. Boris Vian, le poète, chanteur, écrivain, scénariste, humoriste, musicien, l'homme complet et complexe, une véritable bête des arts. Un monument à découvrir. Et celui-ci rentrait dans la catégorie des romans qu'on me conseillait fortement de lire.
Résumé en trois mots : Noirs, Sexe et Violence
Je caricature un poil le propos dans ce résumé en trois mots, mais il faut bien avouer que ce sont les trois thèmes centraux de cette histoire curieuse et au relent de vérité qui mettent mal à l'aise. Déjà, et je tiens à la souligner, c'est un livre dans une ligne purement réaliste, soit au antipodes des autres écrits de l'auteur que j'avais déjà lu (L'écume des jours, Les fourmis et L'arrache-coeur). Ici, point de monde déformé, de réalité transfiguré et de critique voilée mais acerbe d'un monde plus fou que ce qu'il en tire.
Ici, tout pue la vérité, du début jusqu'à la fin, dans ce personnage du noir à la peau blanche qui cherche à venger son frère. Rien que du réalisme dans les échanges entre personnes, dans les faits racontés. C'est ce qui rend la lecture parfois malsaine au plus haut point, tout en conférant à l'ensemble un statut d'avertissement plutôt bienvenue.
C'est intéressant de constater que ce livre, issu des années de ségrégation, traitant d'un racisme qui n'existe plus en apparence chez nous, est toujours bien actuel dans certains de ses propos. Autant sur la jeunesse dorée qui se défonce dans tout les sens du terme, que sur la perversité de ceux-ci, les façons d'être et de réagir. Tout le monde est mauvais ou ignoble, et ce n'est pas le personnage principal qui arrangera les choses, même si il s'agit peut-être du seul qui semble agir avec un réel motif, et presque avec raison. Presque.
Le livre est extrêmement cru, il faut bien l'avouer. C'est explicite sur tout, et c'est ce qui en fait sa force. Rien n'est caché, mais finalement rien n'est vraiment important dans ce qui est cru. C'est le reste, ce qui se dévoile petit à petit, ce qui est tendrement camouflé derrière qui importe. Les sentiments, les raisons, le ressenti. Et tout cela ne transparait qu'a demi-mot. C'est plus complexe qu'il n'y parait au premier abord, car tout est dévoilé, masquant l'essentiel.
Mais ce livre est aussi un coup de poing puissant sur la table et dans la gueule. Qu'en tirer, quelle morale et quel message ? Je ne suis pas sur qu'il y en ai vraiment, et s'il y en a, c'est pluriel. Tout peut-être motif à question, et le final en crescendo accentue ce côté là. Décortiquez-le pendant des heures, vous pourrez en tirer ce qui vous semble bon.
Un étrange roman, dans l'esprit de Boris Vian, mais à part des autres que j'ai déjà lu de lui. C'est purement ancré dans la réalité, et de fait, le roman à une odeur bien plus désagréable. C'est cru et violent, mais jamais gratuitement. C'est méchant et cynique, mais là encore ce n'est pas par pur volonté de déranger. Et c'est puissant. Boris Vian nous entraine dans son histoire pour ne pas nous lâcher. Sans qu'on ne devine où cela nous entraine, l'histoire se déroule inlassablement, nous dévoilant plus d'horreur qu'on aurait voulu, mais nous assénant en face ces vérités qu'on veut éviter.
Si le propos sur la condition des noirs peut sembler démodé, je ne peux m'empêcher de repenser à certains, qui aujourd'hui, en Franc, parlent de ces "bougnoules" et de sang arabe dans les veines ... Et la critique de cette jeunesse dorée qui se défonce à tout va ne me semble pas plus démodée qu'elle ne l'était à l'époque. Les moyens changent mais pas le fond.
Bref, un roman excellent, à lire, car il me semble aussi actuel que peut l'être un roman sorti l'année dernière, et qui a le mérite de ne pas se voiler derrière des faux-semblant. La vérité est là, et elle nous éclate à la gueule. Le genre de roman puissant qui fâchent, qui impressionnent, qui estomaquent, mais qui ne laisse pas indifférent. Voyez ce qu'il en sera sur vous.
(Chronique n°205)