samedi 9 février 2013

Ayesha, la légende du peuple turquoise (Ange)


Merde, je m'étais promis de faire court ... Bon, ben, bonne lecture à vous !

Une nouvelle petite trilogie estampillée Bragelonne. Cet éditeur à vraiment eu une excellente idée avec ses rééditions en un volume à prix défiant toute concurrence. Cette série m'avait avant tout attirée par le nombre de pages par rapport au prix demandé (oui, c'est une raison minable). En lisant le résumé, je me suis dit qu'il n'y avait là qu'un scénario bien classique, mais je me suis lourdement trompé. Aujourd'hui je considère cette trilogie comme un des chef-d’œuvre que j'ai lu en fantasy, une œuvre ambitieuse et réussie au plus haut point. J'y ai trouvé une maturité assez nouvelle pour moi dans le domaine de la fantasy. Je savais que la science-fiction se prêtait très bien aux critiques de notre société ou à la réflexion, mais je ne connaissais pas le pendant en fantasy. Et avec cet ouvrage, j'y suis arrivé.
Je précise également avant de commencer la critique que le titre change selon l'édition. Lorsque vous trouvez des volumes séparés (avec des illustrations bien inutiles), ils sont nommées Les trois lunes de Tanjor. Je vous avoue que je connais quasiment le livre par cœur à force, mais je ne comprends pas le titre. Le coup des lunes, on s'en fiche un peu durant tout le roman (je crois qu'on les mentionne deux fois) et il me semble que le mot Tanjor n'apparait pas dans tout le roman. Les mystères des noms de séries sont parfois nébuleux. Du coup je garderais le terme de Ayesha si vous n'y voyez pas d'inconvénients, qui sera largement plus pratique.


Résumé en trois mots : Autre monde, Religion et Esclave

Cette trilogie donc, nous la devons à l'auteur Ange, qui est en fait un pseudonyme (ah, vous ne vous vous en doutiez pas du tout, avouez !) sous lequel s'abritent deux personnes, un couple plus exactement : Anne Guéro et Gérard Guéro (tout deux français). Le pseudonyme vient simplement des premières lettres de leurs prénoms : Anne et rard. Ce duo d'auteur semble bien fonctionner, puisqu'ils publient quasiment toutes leurs œuvres ensemble. D'ailleurs nous avons eu le droit à beaucoup d'albums de bande-dessinée, notamment La Geste des chevaliers-dragons (pas la meilleure), Le collège invisible, et bien d'autre encore. En fait, ce n'est pas vraiment le meilleur qu'ils ont fait.

Non, la meilleure chose qu'ils ont écrits ensemble, c'est bel et bien cet ouvrage. Il est paru entre 2001 et 2003 pour la première édition, mais édité en intégrale dès 2005, et l'ouvrage dont vous avez l'image est l'édition 2010 de l'opération 10 ans/10 romans/10 euros (je le répète, mais sautez sur l'occasion lorsqu'il le font). Ne cherchez pas à la trouver, vous l'aurez pour plus de 20 euros, autant prendre l'intégrale classique à 26 € mais en état neuf. Eh oui, c'est cher de lire ....

Mais sans s'attarder sur les considérations matérialistes d'un livre, voyons ce que le bébé a dans le ventre. Déjà : l'histoire !
Nous sommes donc dans un royaume inconnu, n'existant que dans l'imagination des auteurs. Mais ici, c'est fait de façon géniale : Tout, absolument tout, est réaliste. Pas de dragons, de magie, d'artefacts sacrées, de retournement de situation tirée par les cheveux. Non, c'est juste normal. Comme une période de l'histoire. Dans le tome un uniquement nous aurons droit à des chiens magiques (et encore, ils sont juste un peu plus gros et ont l'odorat très développé. C'est renversant) et c'est tout ! Le reste, c'est comme une œuvre historique dans un passé inexistant. Je trouve ceci juste extraordinaire, puisqu'on ne se repose pas sur quelque chose de facile pour avancer.

Et donc, le royaume est normal. Des gens normaux y vivent, avec des coutumes, des rites, une religion et des esclaves. En fait le livre s'ouvre sur la citation d'un historien de ce monde qui explique que les esclaves sont le peuple turquoise, arrivé voila trois milles ans par les glaces. Il était blond au yeux bleus, à la peau claire, et une tache bleue était dans leur dos. Ne sachant que faire d'eux, les prêtres se tournèrent vers le ciel et distinguèrent dans la rune de la captivité (le ciel est fait d'étoiles assemblées en runes selon eux) une étoile turquoise. La conclusion fut que le peuple turquoise leur avait été donné pour être esclave. Et depuis ce jour, ils le sont de naissance, souillé depuis ce jour par un crime inconnu qui les conduit à devoir servir sans autre choix.



Je ne dévoilerais pas l'intrigue, mais sachez qu'entre le premier tome et les autres, vous irez de surprises en surprises. La moitié du premier est une course-poursuite qui s'interrompt très brutalement, puis nous avons une deuxième partie avec des intrigues et des complots de cour, une guerre en préparation et des nouveaux personnages, notamment Harrakin et Halios, frères nobles et ô combien important. D'ailleurs je trouve que Harrakin est un personnage des plus développé et des plus intéressant. Une vraie réussite. Le premier tome se finit d'ailleurs sur un gros retournement de situation qui est vraiment inattendu. Enfin moi, je me suis fait avoir comme un bleu.

Pour parler de ça d'ailleurs, je dois souligner un gros caractère du livre : les personnages et leurs psychologies. Car les auteurs nous ont crées deux personnages opposés (Arekh et Marikani) qui sont très curieux : on n'aime pas Arekh, violent, cynique et brutal, mystérieux et sombre, alors que Marikani est la douceur, la sympathie, l'amour, la beauté etc ... réunis. Et pourtant, plus on avance et plus Arekh devient attachant et Marikani plus froide et distante. Au point finalement que les deux se croisent et inversent les rôles attribués au départ.
D'ailleurs cette constante restera : les rôles ne sont jamais fixes, sauf pour deux ou trois personnages. Chacun est mouvant, vivant, avec plusieurs facettes que l'on découvre au fur et à mesure. Dans ce sens, Harrakin est le plus subtil, commençant en bellâtre pédant et beau gosse, pour finir dans un portrait beaucoup plus nuancé, et sacrément attachant. J'ai un gros faible pour lui. Mais les autres personnages ne sont pas en reste.

Ensuite, le récit est superbe. Alternant donc scène de cour, de guerre, de poursuite et autres joyeusetés propres aux récits de fantasy, il va nous entrainer sans temps mort dans une aventure tourbillonnante, avec notamment des nouveautés permanentes qui donnent du corps au récit. Les nouveaux personnages, les nouvelles intrigues, etc ... Rien n'est linéaire. Et les retournements de situations sont superbes. Deux dans le premier tome, un seul (mais superbement mis en scène) dans le second, et au moins trois dans le dernier. Une façon de conclure en beauté l’œuvre. Et la beauté dure jusqu'au bout. Le dernier chapitre apportera encore son lot de surprise, et le dernier mot est aussi important que le reste. J'ai trouvé cette mise en scène superbe. Et en sus, une postface parfaite. Elle pose des bases extraordinaires, avec de quoi réfléchir pour une bonne journée.

Car la réflexion est également présente dans l'ouvrage, autour de deux grandes thématiques : l'esclavage et la religion. Et là, pas question de traitement manichéen. Surtout pas sur la religion, où le propos atteint une sacrée finesse, notamment dans la conclusion et le dernier chapitre. Mais pour ça, je vous laisse découvrir par vous même. D'autres thèmes sont très bien mis en scène, autour du pouvoir et des enjeux, mais également autour de la rédemption d'un homme. Et également autour de l'amour, sous différentes formes. Je vous laisse découvrir encore une fois.

A tout ceci, j'ajouterais que le récit est également complété par une bonne chose : pas de grand méchant. Pas de mal absolu, de vilain pas beau qui détruit tout. Et également (ô joie et comble de la félicité !) une carte totalement inutile ! Oui, vous lisez bien, la carte est complètement désuète ! Vous pouvez lire tout le roman sans la consulter une seule fois, tant le récit est bien construit. On comprend tout le cheminement sans aucun effort, et même si certains lieu ne sont pas d'une précision parfaite, on s'en fiche, ce n'est pas important. Je crois que je baiserais les pieds des auteurs pour nous avoir fait ça. Parce que le roman où vous consultez la carte toute les 4 pages pour voir où se trouvent les gens, c'est chiant ! (oui, Le trône de fer est également visé la dedans ! J'assume !) D'ailleurs les descriptions de paysages permettent d'avoir la carte en tête de façon très claire. Pas de doute la dessus.

Mais alors, me direz-vous, ce roman est-il parfait ? Je dirais que presque. Car plusieurs choses sont gênantes. Déjà une utilisation quelque fois de facilités. Par exemple des gens qui arrivent à fuir devant des hommes à cheval (non, ce n'est pas possible ...), quelques ficelles un peu grosses dans la réapparition des personnages (au tome 3) et deux trois autres petites combines un peu simple. Elles sont très négligeables, mais quand on relit le tout pour la centième fois, le cerveau tique. Remarquez, si vous le lisez une seule fois, ça passe.
Ensuite, une autre critique serait au niveau des personnages : si la plupart des personnages ont du volume, il en reste deux trois qui sont très primaires dans leurs comportements (je pense notamment à Laosimba). Du coup, ils font tache au milieu du reste. Mais franchement, je ne peux pas dire que c'est le pire.

Par contre, la plus grosse critique vient de la fin. C'est juste atroce. Tout comme La nuit des temps, j'aurais voulu engueuler l'auteur lorsque j'avais fini le bouquin. Mais bon, elle est tellement bien faite ... Horrible à lire, mais bien faite. Le retournement final est superbe. Je me répète, mais il vaut vraiment le détour. D'ailleurs après l'avoir passé à une amie (qui m'a très gentiment prêtée la série des Trône de fer) qui l'a adoré, elle m'en a voulu pour la fin. C'est un effet que j'aime bien, il indique qu'une personne à suffisamment aimé l'histoire pour en vouloir à l'auteur d'avoir fait ça.

Ah oui, dernier point superbe : pas de nom à coucher dehors remplis de trémas, d'apostrophes ou de lettres qui n'existent qu'en finlandais. Pas trente-six milles noms de villes ou de lieux, pas de nouveaux noms toutes les trois pages. Ça fait du bien de s'y retrouver très vite, de ne pas avoir des scènes qu'on explique que trente pages plus loin. Enfin de la fantasy qu'on lit avec un plaisir immense. Je suis vraiment reconnaissant aux auteurs d'avoir fait ce choix (à mon sens très bon).

Donc en clair, que retenir ? Le livre est prenant, le style d'écriture parfait. Les personnages sont profonds, l'intrigue est superbe et intéressante, le livre propose plusieurs réflexions qui sont très bien menées, et l'orchestration du tout est juste. Les auteurs se refusent au surnaturel et font ainsi une fresque d'une crédibilité quasi-parfaite. Bragelonne à également fait un excellent boulot autour de l'édition, qui est un plaisir à lire. En fait, je suis quasiment sur qu'il s'agit d'une des meilleurs trilogie de la fantasy française. Voir la meilleure, mais je ne m'avancerais tout de même pas jusqu'à là. En tout cas, elle est vraiment géniale, et la lecture n'est pas que recommandée. Si vous voulez commencez la fantasy, que vous cherchez un cadeau pour quelqu'un qui aime bien, ce livre est la solution idéale.

(Chronique n°9)

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