jeudi 4 avril 2013

Chronique martiennes (Ray Bradbury)

J'aime beaucoup les représentations que les gens ont fait de Mars, avec des idées toujours très différentes. Entre le Mars de Total Recall, celui que Edgar Rice Burroughs (qui apparemment inventa les martiens vert), et celui d'un Ray Bradbury, il y a un sacré monde. Et c'est justement que Mars représente de façon assez idéale un monde nouveau, inconnu, vierge, là où la main de l'homme n'a pas encore mis le pied. Et surtout, c'est une excellente façon de représenter l'homme face à du nouveau. Pas d'invasion comme H. G. Wells, pas de guerre des mondes. Juste des gens qui arrivent, débarquent sur un nouveau monde et prennent connaissance des habitants. C'est très semblable à la découverte de l'Amérique, ce qui peut expliquer que les Américains sont champions en la matière.
En tout cas, Ray Bradbury était déjà un champion en la matière, avec un roman de science-fiction en dystopie aux relents d'horreur (mais si, rappelez-vous : Fahrenheit 451) mais là il avait récidivé avec des nouvelles écrites sur une période très longue (de plus de dix ans) qui vont vous faire voir d'une façon différente les martiens et surtout l'approche des terriens. Mais décortiquons ça, voulez-vous ?


Résumé en trois mots : Martiens, Colonisation et Colons

Pour tout ce qui concerne Ray Bradbury, je dois dire que visiblement il a été invité par l'Institut Technologique de Californie, qui ne l'a visiblement pas pris en grippe selon ses dires, et sinon il n'aime pas (et ne comprend pas) qu'on qualifie de Science-fiction son œuvre. Et malgré tout, je dois reconnaitre que je suis assez d'accord avec ce qu'il dit. En même temps, Ray Bradbury est un romantique qui s'est égaré dans le milieu du XXème siècle. Il est plus du genre dépressif et mélancolique que exalté par les étoiles et les hautes technologies. D'ailleurs, ne vous attendez pas à lire des choses passionnantes sur des engins complexes et futuristes. Les engins les plus complexes seront les fusées qu'auront construit les humains pour atteindre la planète (et elles sont au niveau des fusées tel qu'imaginé en 1950) et la technologie martienne sera uniquement décrite dans des rapports d'art. Et un peu culturels aussi.


Le roman est constitué d'un ensemble de nouvelles, de plus ou moins longues tailles, certaines faisant deux pages, d'autres plus d'une vingtaine. En tout 28 nouvelles pour 319 pages, ce qui ne fait pas tellement par nouvelle au final. Et c'est justement le coup, tout est très rapide, très bref, mais très diversifié. L'auteur nous pond des nouvelles très différentes et étalées dans le temps, mais en même temps il a fait quelques nouvelles qui reprennent des personnages. Mais en même temps, ce n'est pas le propos, de suivre une trame complète. Tout est lié et très détaché en même temps. Je vais vous expliquer.

L'auteur nous promène en fait dans Mars, d'abord avec les expéditions successives qui atterrissent sur Mars et qui commencent à explorer la planète (à ce titre le résultat de la première expédition m'a fait hurler de rire par son côté absurde, celui de la deuxième également, mais en même temps ils font toujours réfléchir). Progressivement les martiens se sont fait éradiquer, ils ont presque entièrement disparus (enfin, c'est compliqué, certains sont encore là mais sous des formes différentes), et l'homme colonise.

Et bien que ce l'intégralité du récit se passe sur Mars, tout le récit est centré sur l'homme et les humains. En fait, la connerie humaine est déjà bien représentée (et dans toute sa splendeur). Elle transparait dans tout le roman, et Ray Bradbury ne se gène pas pour la dénoncer, n'y allant pas avec le dos de la petite cuillère. En plus, il ajoute de la réflexion sur l'âme humaine, sur la religion et la spiritualité, sur l'intelligence, la beauté de l'art, de la nature, la peur des hommes et son contact social. Car au fur et à mesure des colons qui arrivent la Terre voit sa situation empirer. Des guerres se déclenchent, et beaucoup de choses se trament. Les personnages sur Mars voient leur terre natale qui se dégradent, et tout les rapports avec leur terre natale deviennent nouveaux. Les gens arrivent et repartent, tout bouge, et la métaphore se fait plus forte avec les Amériques et le Nouveau Monde. On distingue aussi tout le côté de la guerre froide qui se prépare, de la peur des combats, de la joie de découvrir un nouveau monde et la crainte de Bradbury que l'homme ne le souille comme il l'a déjà fait. Il y a comme de la misanthropie qui se dégage de l’œuvre.

J'ai adoré également le fait que Bradbury joue avec son autre roman, auquel il fait allusion dans une nouvelle, sur les société qui brulent les livres. En fait, Mars est une terre qui est contaminé par la connerie humaine au fur et à mesure que les gens arrivent, que l'humain s'installe sur la planète rouge. Mais en même temps, il reste de l'espoir, tout le monde n'est pas con, certains réfléchissent, d'autres essayent de faire de leurs mieux. Ça n'est pas suffisant, mais c'est déjà ça. Et quel douce vengeance il se fait lorsqu'il exécute ceux qui brûlèrent Baudelaire dans Farhenheit 451 (la nouvelle appelée Usher II). J'ai adoré. Mais aussi quelle tristesse quand des personnes âgées voient revenir leur fils .... C'est beau mais triste.

En l'ensemble des nouvelles sont tristes mais belles, tristes par la connerie humaine qui s'en dégage et belles avec les idées, la façon d'écrire, les fins qui sont trop souvent cruels. L'ensemble du récit n'est pas joyeux, même si on peut rire jaune quelques fois. Les nouvelles ne présentent pas un tableau optimiste de l'espèce humaine, c'est certain, mais elles permettent de mettre en lumière plus d'une faiblesse de l'âme humaine.

En clair, c'est un excellent ouvrage, dans la tradition la plus pure des romantiques du XIXème, qui explore par le biais de la science-fiction les tréfonds de l'âme humaine et en fait ressortir les défauts les plus vils qu'il y trouve. En transposant le tout dans un autre monde, sur une autre planète, il devient d'autant plus cynique en montrant que l'homme est capable de tout corrompre. C'est cruel, mais en même temps il cherche et semble encore croire dans l'humain, comme si des parcelles et de fragments de bonté peuvent subsister. A cet égard la fin du recueil est assez éloquent, mais je vous laisse le plaisir de le découvrir. A ranger à côté de Fahrenheit 451 dans l'étagère des livres cultes et à lire.

(Chronique n°36)

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