Si je vous parle de livres de chevet, voyez-vous ce que c'est ? C'est ces livres qu'on a tellement aimé qu'ils trônent fièrement sur notre côté de lit, à portée de main, là où l'on sait qu'ils peuvent être attrapés et relu en permanence. Je pense que tout le monde a un ou deux livres qui trainent là-dessus, utilisés dans les moments opportuns, ceux qu'on connait par cœur à force de les relire, qu'on savoure à nouveau lorsqu'on a un petit moment ou simplement l'envie. Ce sont des livres usés, au pages cornés, qui ont vécus, mais qui sentent toujours une odeur familière, dont les pages nous sont tellement belles. L'attachement à ce livre est souvent inexpliqué, on l'aime sans trop savoir pourquoi. Il est juste là, dans votre cœur et près de votre main.
Vous connaissez ce genre de situation peut-être. Vous avez aussi sans doute un chouchou qui traine dans un coin, bien à l'abri, que vous prêtez uniquement en étant absolument sur de le revoir, que vous rachèterez immédiatement si vous le perdez. Vous connaissez ? Fort bien. Parce que c'est de ce genre de livre dont je vais vous parler maintenant. Un livre qui est tellement beau que j'en suis encore à présent tout ému en le lisant. Je l'ai sur ma table de chevet, il est relu au moins une fois par mois, et m'inspire énormément.
Ce livre est d'autant plus particulier qu'il est d'une forme et d'une conception inattendu, et d'un auteur qui n'en est pas un, puisqu'il n'écrivit jamais de livre, et surtout qu'il n'a publié que ce livre là à ce jour. Ce qui semblerait logique, puisqu'il n'est pas auteur. Pas un auteur de littérature, s'entend. Un auteur de texte. C'est très différent.
Résumé en trois mots : Vie, Beauté et Dynamisme
Cet ouvrage est très particulier. Tout d'abord, c'est un roman épistolaire. Et non, ce n'est pas un roman. Pas dans le sens où on l'entend habituellement. Ca y est, je m'embrouille à la deuxième ligne. Bon, clarifions la chose : c'est un recueil de lettre. Qui forme un roman. Euh, non, une histoire complète. Enfin, presque. Ça forme une histoire quoi. Et d'ailleurs on s'en fout de l'histoire. .... Je ne suis pas très clair là. Bon, essayons de présenter la chose autrement.
En fait, je dirais volontiers que c'est de la poésie. Mais là je vous embrouille d'avantage, c'est certain. Parlons de l'ouvrage. Déjà, qu'est-ce que c'est ? Des lettres. Je pense que tout le monde avait compris, mais ce sont des lettres. Plein de lettres. Écrites par Jacques Higelin. Voila, on progresse.
Jacques Higelin les a écrites durant son service militaire de deux ans, dont une partie en Allemagne et une autre en Algérie. C'est donc une aventure s'étalant sur deux ans que nous lisons, avec toute les péripéties qu'elles peuvent contenir. Et encore ... Jacques Higelin les a adressées à son amour du moment, une femme dont le nom est tue, mais qu'il surnomme Pipouche. Un petit nom tendre et affectueux, tandis que lui s'en colle plusieurs. Le livre fait 250 pages, avec des gros trous dans la chronologie. De fait, les lettres donnent un semblant d'histoire, mais en fait on n'a pas vraiment de récit au jour le jour. Ce sont des lettres d'amour, pas un journal des aventures. Le service militaire, nous ne le verrons presque pas. Encore une fois, ce sera surtout l'émotion qui prime.
Les lettres sont écrites entre 1960 et 1962, mais le roman est édité seulement en 1987, lorsque la femme à qui les lettres sont adressées à remis ces lettres à Higelin. Vingt-cinq ans après. Pourquoi, je ne sais pas, mais j'aurais bien aimé le savoir. Sans doute que vingt-cinq ans après, ces lettres la touchaient-elles autant. Une façon de montrer ce que leur amour a été. Ou de le rappeler. Je ne sais pas ....
Au fait, vous connaissez Higelin ? Non ? Mais si, celui qui chantait cette fameuse chanson :
Tombé du ciel ! Vous savez "Tombé du ciel, à travers les nuages, quel heureux présage pour un aiguilleur du ciel ....". Higelin, c'est un chanteur français qui m'a fait souvent rêver avec ses chansons un peu déjantés, souvent humoristiques, parfois sérieuses, des fois tristes, presque toujours remplie d'une émotion. Son CD
Aï est juste extraordinaire, mais
Alertez les bébés,
Caviar pour tous et
Champagne pour les autres sont également des merveilles avec les chansons
La croisade des enfants,
Champagne,
Le Minimum ou encore
J'suis qu'un grain de poussière. Tiens, je pense que je vais le réécouter durant la rédaction de cette chronique. Le temps de trouver le CD .... Et voila, c'est parti !
Alors je précis que je trouve que Jacques Higelin est un véritable poète dans plus d'une œuvre. Et pourtant, ce n'est pas un chanteur que j'écoutais souvent. J'ai surtout découvert avec ce livre, et j'ai ensuite apprécié ses œuvres musicales qui renferment elles aussi des trésors de langues. Car Higelin aime à manier la langue. Une langue que nous connaissons tous bien si vous me lisez : le français.
En effet, Higelin va prendre la plume et écrire à sa fiancée des lettres d'amour d'une beauté pour l'instant inégalée dans mon répertoire de livre à ma disposition. Je dois dire que c'est tellement marquant pour moi qu'il est devenu ma référence en la matière. Je me dis toujours que le jour où je saurais écrire à la fille que j'aime des phrases et des lettres aussi belles que celles que j'ai déjà lu ici, je pourrais être véritablement heureux de mes écrits.
En fait, les lettres sont très curieuses. Ne commençant pas forcément par un bonjour ou une formule classique, se concluant à chaque fois par une autre manière, toujours dans une beauté incroyable, nous avons le droit à tout un panel de lettres, jalouse, colérique, amoureuse, inquiète, blasée, etc ... Les deux dernières étant les plus belles je pense. Elles sont écrites à la fin de son service militaire, lorsqu'il apprend que leur relation est finie. L'avant-dernière est belle, mais la dernière est sublime. Il est déjà au courant que c'est fini, sait qu'il ne faut plus rien attendre, mais écrit une lettre en réponse à une que la fille lui à écrite. Et là, nous avons un aperçu de ce que la langue peut être belle. Elle est juste sublime, autant dans la forme que dans le fond, et les derniers mots de la lettre forment une conclusion parfaite.
Ce qui est parfaitement sidérant, c'est qu'on aurait presque l'impression que les lettres ont été écrites pour un livre, mais en fait non. C'est vraiment des lettres personnelles, qui s'adaptent totalement au livre. D'ailleurs elles sont toutes fraiches, spontanées, très belles et remplies d'émotions. La façon d'écrire en plus est très prenante et nous prend à la gorge, les émotions traversent sans aucun souci. J'ai été largement contaminé.
Pour vous donner un exemple de ce que j'appelle la beauté de la chose, voila quelques extraits piochés au hasard. Ils sont à chaque fois à la fin de la lettre. C'est beau :
"Vous m'avez réappris la fraicheur d'aimer"
"Je t'aime, tu es belle, tu es vie.
J'existe pour et par toi"
"Je vous sens très fort près de moi
et nous nous aimons"
Je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve cette façon de faire juste magnifique. Beaucoup comparent les textes du recueil à des poèmes de Baudelaire. Personnellement je n'ai jamais lu de Baudelaire, mais je serais d'accord avec ce qu'on dit généralement de lui et de ces textes.
Ce qui ressort également, c'est la vie de Higelin. Il aime la vie, il aime la musique, il aime cette fille, et tout cela ressort à travers les pages. C'est un dynamisme incroyable, un torrent d'énergie qui traverse les pages et nous irradie. Les lettres ne sont absolument pas nostalgique, mélancolique ou dépressive. On est dans l'éclatant, dans le rayonnant, dans quelque chose qui bouge et qui donne envie de danser, d'un bout à l'autre. C'est vivant, éclatant de vie comme un beau jour d'été, le soleil rayonnant, il fait chaud et le piano qui joue en arrière-plan. (pour ce paragraphe j'ai écouté
cette chanson, ce qui explique la teneur. Mais il reste vrai !);
En clair, le livre est un livre d'amour, mais à mille lieux d'un truc cul-cul et gnangnan. C'est plein de vie, rayonnant d'amour, à l'image de sa musique. Une belle histoire d'amour, mais également un amour pour tout le reste, et spécialement pour la musique. Jacques Higelin tel que nous le connaissons apparait dans ces lignes, le personnage se dessine s'affirme. Nous avons le droit à des scènes superbes, des citations extraordinaires, et une fin en apothéose. Je dirais qu'il s'agit du plus beau livre d'amour qu'il m'ait été donné de lire dans ma vie. Un must-have, et plus encore. A tout ceux qui aiment quelqu'un et qui veulent savoir comment écrire quelque chose de beau à son attention, prenez-en de la graine !
(Chronique n°15)
Allez, pour finir, voici l'introduction du livre :
"Un soir, vous êtes passé. On s'est assis l'un en face de l'autre ... Vous étiez sombre. Vous disiez les choses sans les dire. J'essayais de comprendre vos demi-mots. Je vous écoutais, je souhaitais être la complice de vos tourments, celle à qui on dit tout, celle qu'on rencontre l'espace d'un instant, à qui on crache sa vie dans l'espoir qu'elle entendra.
Peut-être n'étiez-vous pas venu pour parler, vous aviez seulement besoin d'aller mieux, d'être ailleurs. J'avais envie de vous voir sourire, de vous lire une histoire, une histoire vraie, écrite et racontée par vous, par nous, de vous laisser venir, de vous laisser entrer dans ce jardin secret où j'ai gardé vos lettres, là où le temps s'est arrêté"...
Pipouche