mardi 12 mars 2013

Farenheit 451 (Ray Bradbury)

Je ne sais pas si vous aussi avez déjà éprouvé ce genre de situation, mais parfois, certains livres ne sont pas que des livres qui prennent au tripes. Parfois ils touchent des cordes sensibles en vous, celles dont vous ne soupçonniez pas l'existence mais qui résonnent fort et surtout très profondément. Vous vous surprenez à dévorer des page sans pouvoir vous arrêtez, vous vous goinfrez, vous gobez, vous englobez tout le livre sans atteindre satiété avant de l'avoir fini. Et là, vous restez hagard, frappé par ce que vous venez de lire. Il vous faut un petit temps d'adaptation, vous redescendez lentement sur terre, comme un drogué qui a fini son shoot et retrouve progressivement pied avec la réalité. Pourtant vous avez beau ne plus y toucher, il vous travaille, ça remue dans la caboche, vous sentez que vous n'êtes pas en paix. Des bribes de roman vous reviennent en mémoire, des passages semblent s'animer, vous en rêvez, c'est en vous très profondément et vous n'arrivez pas à l'extirper en dehors. Puis vient le temps de la compréhension. On saisit ce qui nous travaillait, pourquoi c'était tellement bon et tellement prenant. Vous réfléchissez, relisez un peu les passages, et finissez par avoir assimilé totalement le livre, même si vous restez incapable de tout retransmettre à quelqu'un ensuite. Mais vous l'avez en vous, et c'est amplement suffisant.

C'est de ce genre de livre dont je vais vous parler aujourd'hui.

Résumé en trois mots : Livre, feu et dictature

Ce livre, c'est presque impossible que vous n'en ayez pas entendu parler. Un classique de chez classique, mais alors vraiment plus classique que ça c'est impossible. Un chef-d’œuvre adulé de la littérature américaine, un auteur de génie, une histoire parfaite. C'est bien évidemment Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.

A titre personnel, je ne supporte pas qu'on fasse du mal à un livre. Le simple fait de jeter un livre qui est en allemand datant de 1924 et à moitié foutu me brise le cœur. Même une Bible/Coran/Torah/Kama-sutra (alors que je suis fermement athée), je ne supporterais pas. Je n'arrive pas à imaginer un livre bruler. Alors quand on brule des dizaines de livres intéressant, même si ce n'est que écrit, je sens mon cœur saigner. C'est tellement inhumain de faire ça, je ne supporte pas. Voila pour moi, maintenant parlons du livre.


Ce livre est légendaire. Il a posé de nombreuses bases en anticipation, il est incroyablement lucide sur le monde, et enfin, nous petits habitants d'un monde en 2012, pouvons dire que ce livre est également très visionnaire. Même mieux, je dirais qu'il est prophétique. D'ailleurs, si vous lisez cet article, c'est que vous consacrez du temps à votre ordinateur. Savez-vous qu'en France, en 2012, la durée moyenne de visionnage de télévision d'un homme lambda est de 3.5 heures par jour ? Oui, par jour, vous lisez bien. En clair, plus d'un cinquième de la journée, et ce en comprenant les heures de sommeil. En dormant huit heures par jour, c'est plus d'un cinquième du reste de votre journée. Incredible, isn't ? Les chiffres sont sans appel, dirait-on. Fahrenheit 451 n'est plus tellement loin, n'est-ce pas ?


Mais de quoi parle donc ce fameux roman qu'on nous vante sans cesse ? Et bien, c'est très simple :

Nous avons un monde proche. Les gens ne lisent plus. Plus personne. Le livre à disparu. Les pompiers les brulent. Ils n'éteignent plus les incendies, ceux-ci ont disparus lorsque les maisons ont été entièrement ignifugées. Du coup, ils arrosent d'essence les tas de livres interdits qu'ils trouvent et enferment les personnes. Les machines sont partout : des chiens qui vous traquent, les Limiers, ne ratant jamais leurs cibles. Des gros camions de pompiers remplis d'essence : les salamandres. Et puis les écrans qui remplacent les murs, pour discuter avec la famille, ce concept révolutionnaire de télé. Et ces coquillages dans les oreilles, qui diffusent la radio, la musique, des voix en permanence, assourdissant la personne au monde extérieur. On ne veut plus voir, on ne veux plus entendre, on n'entend et on ne voit plus. Et pourtant tout le monde est heureux de ça. Curieux, ça me rappelle le métro ou le tram le matin. Je ne suis pas mauvaise langue, regardez une fois vraiment les gens autour de vous. Combien n'ont pas d'écouteurs ?

Ensuite, maintenant que nous avons le contexte, voyons le héros. Montag, un pompier. Je ne sais toujours pas si c'est la raison, mais le fait qu'il s'appelle Montag (lundi en allemand) me fait toujours penser à ce début de semaine, le premier jour d'un nouveau cycle. Le moment de repartir sur de nouvelles bases. Un beau présage.
Car le reste ne l'est pas. Montag brule des livres, très régulièrement. Il aime le feu, l'allumette qui embrase le tout, le papier qui se tord, qui se consume. C'est beau, une symphonie parfaitement orchestrée qui rythme sa vie. Car en rentrant, il découvre sa femme, Mildred, est accaparé par ses écrans et la famille qui est dessus. Des programmes chouettes pour vous divertir toute la journée. Quel beau programme !

Ensuite, pour que l'alchimie de l'histoire puisse avoir lieu, il faut un événement imprévu. Celui-ci va avoir lieu deux fois. Un catalyseur, une étincelle. Le catalyseur : la voisine, Clarisse, 17 ans, très sympathique, un peu folle ou bizarre selon les voisins, qui aime parler avec les gens, écouter, et simplement tout ce qui est proscrit dans ce monde moderne. Elle va parler avec Montag, progressivement nouer une relation presque d'amitié avec lui. Mais l'amitié à besoin de temps pour évoluer, et ce temps fera défaut.
Ajoutons l'étincelle. Une femme qui s'immole au milieu de ses livres arrosés d'essence. Une femme vieille, qui à elle-même jetée l'allumette sur le tas. Elle à brulé volontairement sa vie et ses livres. Montag ne comprend pas : qui a-t-il dans ces livres qui peuvent conduire à s'immoler pour eux ? Il cherche à comprendre.

Tout est en place, le drame commence, lever de rideau. La pièce à fini l'introduction. Passons au corps du texte. Que va-t-il se passer ? Vous le saurez en lisant ce très court récit. Il faut le lire, c'est une œuvre qui doit être lu au moins une fois dans sa vie. On en ressortira grandi en tout. Contrairement à Je suis une légende qui est une œuvre culte seulement, celle-ci est culte et immanquable. Un pilier fondateur, mais également indispensable à un minimum de culture livresque. Pourquoi donc ? Et bien, voyons cela ensemble, voulez-vous.


Pourquoi qualifier Fahrenheit 451 de lecture obligatoire ?

Parce que ce roman est un avertissement. Un avertissement au monde entier de la voie dans laquelle il ne faut surtout pas s'engager. Et dans laquelle on se dirige malheureusement les yeux fermés. Une société qui ne cherche plus à s'instruire !
En effet, beaucoup voient dans l'ouvrage une dénonciation des médias de masse, de la télé et des écrans. Personnellement je ne pense pas que tout s'arrête là. C'est sur, les écrans peuvent causer beaucoup de problèmes, notamment d'une dépendance accrue, mais ils sont avant tout des annihilateurs de volontés et d'action. Je pense qu'à ce niveau là, c'est presque impossible de démentir le propos. Franchement, les écrans ne vous calment pas beaucoup, vous rendant très vite amorphe et calme, énervé mais peu actif ?
Et pourtant, ils servent, on ne peut le nier non plus. Les mails, l'internet, toutes les fonctionnalités d'un ordi. Qui ne s'en est jamais servi me jette la première pierre ! Et là, c'est ce que Ray Bradburry dénonce : les écrans servent de la mauvaise façon. Ils ne sont que des choses qui maintiennent l'ordre, distraient les personnes. Panem et circenses, disaient les anciens romains qui avaient tout compris : distrayons-les, et tout ira bien. Là, le roman dénonce totalement cette passivité, cette oisiveté qui est entrainée par les médias de masses, cette télé qui fonctionne tout le temps. Une façon d'endormir la conscience des gens.
Mais en plus, il y a quelque chose de bien pire qui est fait : on endort les gens, mais on brule le moyen de les réveiller ! Les personnes sont amorphes, et on brule les livres. Là, c'est le summum de la critique. Le feu qui ravage les livres atteint la pire chose : la fin des possibilités pour tout à chacun de s'instruire, d'accéder à la connaissance et de vous épanouir intellectuellement. Car oui, les livres éveillent ! Tout comme la conversation éveille, comme la poésie éveille ! Et tout cela brule ou disparait. Je dois dire que ça fait vraiment froid dans le dos.

Cette société, c'est également de personne apathique est tellement horrible, et surtout à présent tellement proche, qu'on en vient presque à se demander si il n'est pas vraiment prophétique. Plus d'une situation du livre horripilent mais également font échos à des choses totalement actuelles.  Et pourtant, aucune considération n'est faite autour de la politique ou encore de grands manipulateurs qui régissent le monde. C'est simplement l'ensemble de la société, par le bas comme par le haut, qui coopère. On ne peut pas blâmer quelqu'un en particulier, mais tous. Dans ce sens, les dernières pages sont sublimes en termes d'accusation. Et c'est à mon avis une des meilleurs raisons de lire ce livre : tout le monde doit s'impliquer dedans, tout le monde doit faire ce petit effort supplémentaire. C'est le collectif qui gagne, et il commence par l'individuel.


En conclusion, malgré son âge canonique de 54 ans, ce livre à gardé toute sa force et en à même gagné je pense. Il est toujours aussi horrible de se demander si nous ne glissons pas lentement dans un monde qui est peut-être pire à sa manière que 1984, car ici les coupables sont au même niveau que nous. Les médias de masses qui embobinent les gens et les endorment, l'appauvrissement de la culture, les questions intérieurs de Montag, tout cela n'est que plus actuel, et aujourd'hui il doit être considéré avec d'autant plus de soin. C'est le genre de livre qu'il faut lire, mais qu'il faut faire lire également. En parler, en discuter, l'analyser, soupeser les propos dedans. Il ne s'agit pas d'une lecture distrayante, c'est une lecture pour laquelle il faut prendre son temps, et qui donne matière à beaucoup réfléchir. Et c'est également une lecture incroyable, n'étant pas pessimiste, n'étant pas optimiste. Le final est à couper le souffle d'ingéniosité. Une merveille, un livre culte. Et immanquable.

(Chronique n°23)

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